L'été austral

Publié le par cookiscalade

Voilà l’été austral sur le point de se finir, et bien des kilomètres parcourus. Le Chili, dans toute sa longueur de Calama à Punta Arenas, à vélo, à pied, en bus et en avion. Si vous préferez les images à la prose, allez voir les galeries « Patagonie du Nord à vélo», « Patagonie du Sud à vélo», et « Désert du Sud-Lipez ». (ça arrive, vous inquietez pas)

 

Patagonie du Nord, de Puerto Montt à El Chalten.

 

La carretera austral, avec ses 1300km de pistes nichées entre les montagnes du nord de la Patagonie, est un endroit de prédilection pour le voyage à vélo par la diversité des paysages entre glaciers, forêts denses, lacs, montagnes et rivières, l’isolement des régions traversées.

L’accès à cette route se fait par la mer : au terme d’une nuit de bateau au départ de Puerto Montt on arrive à Chaiten. C’est une ville sinistrée par l’éruption d’un volcan insoupçonné en mai dernier. Le décor est apocalyptique. Des mètres de cendre ont recouvert la ville sous une lourde chape grise, des coulées de boue et de cendres charriées par les pluies d’hiver ont emportées une partie des maisons. En arrière plan le volcan continue de cracher furieusement son épaisse fumée que le soleil gris traverse avec peine. Les vélos chargés, nous quittons cette ville morte pour entrer dans la montagne et les forêts. La route est souvent la seule trace visible de l’homme dans cette nature débordante. Oppressante, la végétation semble vouloir reprendre ses droits de part et d’autre de la piste, formant un dense mur végétal impénétrable de feuilles et d’écorces. Les hauts sommets alentours sont tous couverts d’une calotte blanche et en permanence de grandes masses glacières surplombent notre chemin. La carte routière à grande échelle nous avait caché les cols qui parsèment les premières étapes, et le mauvais état de la piste ajouté aux longues montées nous obligent à pousser les vélos dans les épingles les plus resserrées. Si le poids des vélos, à peine soulevables une fois les sacoches chargées, nous immobilise dans les montées, il nous fait filer dans les descentes qui suivent, nous permettant de profiter des paysages grandioses à la vitesse du vent.

Au détour d’un col, les montagnes et la végétation change, les forêts pluvieuses font place à un paysage beaucoup plus aride où l’eau ne coule plus en abondance. C’est dans ce paysage semblable aux Alpes du Sud que nous retrouvons de l’asphalte quelques kilomètres avant Coyhaique, seule grande ville de la Patagonie du Nord. Nous retrouvons aussi la pluie. Le soleil rayonnant qui nous accompagnait les premiers jours se fait gris et le ciel bas, l’occasion de découvrir les joies du vélo dans le vent et sous l’eau. A Coyhaique, les montagnes s’aplatissent et de grandes plaines vertes vallonnées par petits volcans et des orgues basaltiques rappellent l’auvergne. Nous y faisons le plein de vivres et continuons notre route vers Cerro Castillo. Au fur et à mesure que l’on s’éloigne de la ville on retrouve l’isolement des premiers jours, les voitures se font plus rares et la piste se dégrade. Nous laissons les vélos à Cerro Castillo pour aller marcher dans les montagnes au dessus. Nous trouvons la haut le mauvais temps et le froid, et parfois entre deux nuages se dévoilent les grandes aiguilles de granit et les glaciers qui bordent notre chemin. Les étapes suivantes continuent à être humides. Nous traversons des zones de marais où de chaque coté de la piste des eaux brumeuses s’étendent à perte de vue. Des anciennes forêts il ne reste souvent que les troncs blanchis pas le soleil et la pluie, pétrifiés par les incendies ou l’éruption de quelques volcans alentours.

Au Lago General Carrera, le plus grand du Chili, nous retrouvons le soleil et les taons qui nous assaillent dans les montées. Les couleurs bleues vertes de l’eau reflètent les premiers sommets glacières du Hielo San Valentin et du Hielo Norte. La piste devient plus étroite et de moins en moins bonne. Nous croisons a peine une vingtaine de voitures par jour. La route longe le Rio Baker, le plus gros fleuve du Chili. C’est dans les profondes gorges que nous surplombons que des barrages vont sûrement bientôt être construits. Ces grands projets sont confrontés à l’hostilité des habitants de la Patagonie Chilienne. Non pas que les barrages en eux même aient un impact écologique et humain très important, ce sont les 2000km de lignes hautes tensions qui borderait toute la route que nous venons de parcourir qui détruiraient les magnifiques panoramas de la Carretera Australe.

Quelques kilomètres avant Cochrane, Cyril envoit un soleil dans une mauvaise descente  caillouteuse. Il s’en sort avec une belle pizza sur la fesse droite, et le bras droit endolori. Rien de cassé, seulement sa roue arrière est en huit, et ne semble pas redressable. Il finira la journée en stop. A Cochrane, nous réparons les dégâts et préparons le réveillon. Nous sommes alors le 24 décembre, et nous avons du mal à nous croire à noël en tee-shirt et short dans les rues. Les guirlandes et les musiques de noël sont bien la, mais point de neige, point de nuages gris et ni de ciel bas portés par un vent d’hiver. Nous sortons de la ville et nous installons avec un couple de français au bord d’un lac. Nous passons la soirée avec Fred et sa sirène autour d’un feu accompagné d’un asado et d’un vin chaud improvisé.

Apres Cochrane nous entrons dans la partie la plus sauvage du voyage. Il reste deux villages d’à peine 1000 habitants et encore 250 km avant le bout de la piste. Un temps humide et venteux nous accompagne. A Caleta Tortel, après 20km de faux plat contre le vent et la pluie, on découvre un village de pêcheur entièrement construit sur pilotis. Le sol est tellement humide que mêmes les rues et les places sont en faites des passerelles et des pontons qui descendent sur la mer. Nous campons sur le champ de foire municipal, à l’abri d’un toit éphémère subsistant du dernier 18 septembre, la fête nationale chilienne. La route qui suit est coupée par un bras de mer que nous devons traverser en bateau. La piste est alors complètement isolée, étroite et perdue au milieu de profondes vallées couvertes de forêts. C’est ici que l’axe de roue arrière de Romain décide de casser. Avec la petite dizaine de voitures qui passent par jour, on improvise nous même une réparation qui nous permet de continuer jusqu’à Villa O’Higgins, le bout de la Carretera Austral. Le chemin assez mauvais fait que le voilage et l’ovalité de la roue réparée ne se sentent pas trop. Des maisons ou abris abandonnés nous servent d’abris au vent et à l’humidité, que ce soit des abris bus, des anciennes fermes ou des cabanes de bûcherons.

Nous fuyons aussi vite que possible Villa O’Higgins, moche, chère et sans intérêt pour nous embarquer en bateau afin de traverser le Lago O’Higgins. Là nous attend la partie dont nous avait parlé d’autres cyclistes : la traversée de la frontière avec l’Argentine par un col par un sentier non carrossable sur lequel il faut pousser les vélos faute de pouvoir rester dessus vu la difficulté du chemin. Les formalités de frontière effectuées on attaque la montée. Les vélos doivent effectivement être poussés dans quelques épingles un peu serrée, mais cette peine est bien compensée en arrivant au col : le Fitz Roy apparaît dans toute sa hauteur, tour verticale dominant les montagnes alentour comme une grande lance de pierre tendu vers le ciel, sans l’ombre d’un nuage. Le chemin s’arrête sur la Laguna del Desierto où il faut choisir entre un bateau ou un sentier pour passer de l’autre coté. On continue par la terre ferme, mais il nous faudra pousser quasiment en permanence les vélos sur ce chemin coupé par des arbres tombés, des pierres et des raidillons et on mettra plus de 6h pour faire les 12km de traversée. On est alors le 31 décembre, on s’arrête à la nuit tombante au bord du lac, grand miroir d’eau dans lequel se reflète le Fitz Roy aux dernières lueurs de l’atardecer. L’engourdissement de la journée disparaît après une petite baignade dans l’eau fraîche et un verre de Pisco Péruvien offert par Fred et sa Sirène. Autour d’un feu, nous réveillonnons en faisant bonne chère : pâtes en entrée, riz en plat principal et semoule en désert et le tout en ration double. Le beau temps persistant le lendemain en arrivant à El Chalten, nous partons pour la base du Fitz Roy et du Cerro Torre. Derrière cette barrière d’aiguilles de granit s’étendent les 300km du glacier del Hielo Sur sur lequel règne un enfer blanc de neige, de vent et de brouillard comme en témoigne les nuages que l’on voit s’échapper d’entre les sommets qui nous dominent.

Cette rando marque la fin de la première partie du voyage. Nous quittons les montagnes coiffées de glaciers, les torrents impétueux, les denses forêts primitives, les lacs bleus turquoises et les chemins creux pour découvrir la pampa avec des lignes droites à perte de vue, un vent incessant, le désert sur des centaines de kilomètres. Nous quittons aussi JB qui repart vers Valparaiso et nous continuons à trois.

 

Patagonie du Sud, de El Chalten a Ushuaia

 

Dans la pampa tout se joue au pile ou face. Soit on gagne avec de belles routes asphaltées et le vent dans le dos : 90km en une matinée. Soit on perd, et là il faut rouler en file serrée cherchant l’aspiration du premier, se battre contre un vent incroyable qui nous fait avancer a des vitesses désespérément faibles sur du ripio. La force du vent nous a arrêté une après midi et une nuit entière dans un fossé, attendant 3h du matin que les éléments se calment et que l’on puisse continuer. C’est à peine si nous pouvions marcher droit pour aller jusqu’à une mare à mouton chercher de l’eau. A l’abris du vent et du froid dans les duvets le ciel étoilé de l’hémisphère sud se découvre dans toute se clarté même si à ces latitudes nous avons seulement 4h de vrai nuit noire. Le soleil met plusieurs heures à se noyer derrière l’horizon, projetant de sublimes lumières ocres et orangées sur le désert qui nous entour et sur quelques montagnes lointaines qui se découpent sur l’horizon.

Nous laissons les vélos à Puerto Natales pour aller marcher aux Torres del Paine. Quatre jours de marche pour faire le tour du massif et y pénétrer par la Valle Frances et la vallée menant au W. Un peu de mauvais temps les premiers jours, mais des vues superbes sur le glaciers Grey, long de quelques dizaines de kilomètres et terminant dans un lac, les séracs s’écrasant dans l’eau dans un vacarme assourdissant. Les montagnes quand à elles défient les lois de la gravités. Les grands murs de granit jaune et gris qui se dressent vers le ciel sont d’une verticalité impressionnante.

Notre voyage continue vers le sud à grand pas, portés par les vents favorables. Puerto Natales – Punta Arenas, 250 km en une journée et demie. Nous traversons au plus vite le détroit de Magellan. La mer était parait-il calme pour le coin, mais à travers les fenêtres du bateau on voyait tantôt la mer, tantôt le ciel entre deux creux de vague. Une petite chaîne de montagne culminant à 400m borde la côte de la Terre de Feu et nous permet de voir une bonne partie du détroit de Magellan. Nous retrouvons l’océan Atlantique sur la cote est de l’île, en même temps que l’Argentine et ses fameuses facturas. Nous sommes encore en pleine pampa, quelques puits de pétrole donnent un peu de relief au paysage. Un peu déçu de voir le voyage se terminer dans ces grandes étendues désertiques, c’est avec joie que deux jours avant Ushuaia que l’on retrouve des montagnes qui n’ont rien à envier aux Alpes. Deux cols, une route à travers la forêt en balcon au dessus de grands lacs de montagne, et enfin un grand faux plat descendant de 20km, nous voilà arrivés à Ushuaia. On n’a pas vraiment l’impression d’arriver au « bout du monde » comme le proclame chaque panneau publicitaire touristique. De grands bateaux de croisières sont amarrés dans la baie et déversent leurs flots de touristes dans la rue principale, dont les magasins ressemble à ceux de n’importe quel centre commercial occidental. Cependant les montagnes aux dessus de la ville offrent une belle vue sur le Canal Beagle et sur la Cordillera Darwin qui se jette dans la mer. On retrouve Aurélie, en échange à la Plata, qui profite des vacances pour voyager en stop dans le sud de l’Argentine.

Notre voyage en vélo est maintenant achevé. Démontés, sans porte bagage ni sacoches, ils paraissent bien frêles et légers. Une fois mis en carton, je me retrouve tout étonné à faire rentrer dans une si petite boite ce qui nous aura permis de faire et de voir tant de belles choses pendant ces six semaines. Et puis en peu démuni aussi à l’idée de me retrouver seul juste avec mon sac à dos.

Publié dans Voyage

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E
Ca y est! De retour a Munich, j'ai enfin put regarder les photos de votre fabuleux voyage a velo, qui completent ce recit vibrant de toutes les belles choses que vous avez vu en chemin. Bravo et merci pour cette grande bouffée d'aventure.
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